Le tour de la Haute Loire est une belle aventure. Une aventure humaine d’abord, qui réunit des gens de tous bords, de tous âges, de tous niveaux. Pendant trois jours, ces cyclistes jusque là sédentaires, deviennent nomades … et partent pour un beau voyage. Sans aller au bout du monde, ils découvrent alors des routes insolites … des itinéraires qui font rêver, et qui pourtant ne sont jamais très loin de chez eux …
C’est aussi une histoire d’amitié, de copains, de gens que l’on ne connaissait pas, et que l’on apprend à connaitre … C’est un précieux moment de partage, de convivialité, qui laisse des traces, des souvenirs, des émotions … A cette joie de pédaler ensemble, s’ajoute la rigolade. Elle aussi est immanquablement présente et même incontournable pendant ces trois jours d’évasion. Quel autre sport que le vélo peut offrir toutes ces choses à la fois ?
Le tour de la Haute Loire 2013, cette année encore, riche en évènements, en anecdotes, a tenu toutes ses promesses. En quelques pages, je vais tenter de vous le faire revivre … et pour ceux qui n’y étaient pas, de le raconter.
Cette année, vingt trois vaillants, étaient prêts à partir. Un record. Pour des raisons de sécurité, ce vendredi matin, le départ s’effectue en deux temps. Un premier groupe qui s’élance d’abord à six heures quarante cinq, un second à sept heures quinze. Le regroupement général aura lieu après la Chaise-Dieu sur des routes tranquilles. Sur ce début de parcours, il n’y a pas grand-chose à dire. Que des routes maintes fois empruntées par tous, que tout le monde connait, et donc sans surprises.
Après Saint-Alyre, et un petit crochet par le Puy de Dôme, là par contre, c’est différent. C’est même là que l’aventure commence. Alors ouvrons grand les yeux ! Attention nous changeons subitement de cap, et il faut prendre une petite route à gauche. Celle-ci chemine à travers bois, puis brusquement vire à droite en direction de Saint-Vert où nous traverserons le Doulon en amont de la route principale. C’est là aussi, que nous enregistrons nos premières pertes, avec six petits étourdis qui emportés par leur élan, oublient de tourner et partent tout droit ! Parmi eux, il y a quelques incontournables ! Nadine, bien sûr, est à la tête de cette poignée de dissidents ! Cette route est une première, une découverte pour tous. Même Jean-claude Cardi, l’homme aux sept cent mille kilomètres officiellement déclarés au compteur, ne la connait pas. C’est tout dire. C’est une voie étroite, qui ondule et se tortille comme un serpent à travers la forêt … Un chemin de traverse sans voitures … sans le moindre emmerdeur … où ne règne que le silence, où ne flotte que l’odeur de l’humus, enivrante, un peu forte. Le rêve quoi ! L’escapade prend fin, peu avant Champagnac le Vieux où tout le monde se retrouve et se regroupe. Ce retour sur la route principale, précède la plongée sur le Val d’Allier, direction Auzon. Une descente rapide et sans surprise. Un itinéraire déjà connu de beaucoup dans le club, car emprunté dans le passé à l’occasion d’autres randonnées. Le bassin brivadois brille sous un soleil généreux, et étincelant de lumière nous ouvre grand ses bras. Chacun dévale la pente avec allégresse, grisé par les vertiges de la vitesse, caressé par un vent régulier qui parfois se fait taquin, et vient brusquement fouetter le visage. Magie de rouler … d’aller vite sans effort. Juste récompense offerte à celui, qui avec obstination, a grimpé durant de longues heures avant de redescendre … Vergongheon est là devant nous, quelque part dans la plaine … Midi approche, et le restaurant : « La source » nous attend. C’est une bonne table, que John le routier sympa, le pote, nous a conseillé, et que depuis plusieurs années nous fréquentons. Le patron de l’établissement, maintenant connait nos habitudes. Arrivés pile poil à l’heure prévue, il nous accueille une fois de plus, chaleureusement. C’est un puriste fidèle à ses fourneaux, bannissant de chez lui le partisan de la restauration rapide ou du plat réchauffé. On l’a déjà vu mettre à la porte des clients qui avaient osé mettre en doute la qualité de ses plats ou la fraicheur de ses produits, lui l’ennemi juré de la malbouffe, du surgelé ! L’homme est entier, caractériel, en diable généreux. Ses idées sur la gastronomie sont assez simples et se résument en quelques mots. Selon lui, la cuisine n’est pas un art abstrait ou branché. Elle se doit seulement d’être bien préparée et consistante, comme savait la faire nos grand-mères, dépouillée de tout artifice. Conviviale quoi. Point barre ! Et ceux qui n’adhèrent pas à ces quelques bons principes, n’ont rien à foutre ici ! Cette halte est déjà connue de pas mal de beauzacois. Les nouveaux découvriront, pourront apprécier la qualité du service et la saveur des mets préparés. Le cadre est sympa. Une grande tablée sous une tonnelle, donne au lieu des allures de guinguette. Ambiance détendue garantie …
Une heure et demi plus tard, et comme prévu, tout le monde peut repartir contents … et rassasiés. Toutes les mécaniques sont en état de marche, aucun bobo n’est à signaler … dehors le soleil brille … Bref tout va bien. La vie aujourd’hui ne semble pas décidée à nous faire trop de vacheries ! Le patron qui nous a régalé, nous raccompagne jusqu’au pas de sa porte pour saluer notre départ.
Juste après Lempde, quelques kilomètres dans la vallée de l’Allagnon nous permettent de souffler, offrant là une reprise en douceur. La route suit la vallée, et remonte tranquillement la rivière. Les cyclistes disciplinés roulent en file indienne. Mais ce calme précaire est brusquement rompu. A l’entrée de Léotoing, il y a un carrefour. Il faut prendre à gauche, et c’est la petite route qui monte au château … Un méchant coup de cul qui casse le rythme, et qui vient contrarier la quiétude de ceux qui déjà depuis un petit moment, ont commencé la sieste ! Première grosse difficulté sur ce tour de la Haute-Loire. Première alerte aussi, avec un kilomètre cinq cent d’ascension, et des passages à plus de douze pourcent. Il faut lutter dur contre la pente, contre les lois de la gravité, auxquelles vient s’ajouter là, le poids de la digestion. La bataille est rude. Sur la route, ça sue, ça crache, ça souffle pas mal … Mais les troupes beauzacoises en ordre dispersé, ces preux chevaliers ceints de leur flamboyante tunique aux couleurs vertes et orange, finissent finalement par prendre d’assaut la citadelle. Après avoir hissés le drapeau à la pointe du donjon, ils prennent une pause méritée. De là haut, ils dominent maintenant les montagnes environnantes ... où tout en bas, la rivière ne trace plus qu’un minuscule sillon gris à travers le relief. Puis ils se remettent en selle et repartent, en route vers d’autres conquêtes …
Pour arriver jusqu’à Villeneuve et basculer sur les bords de l’Allier, un terrain vallonné attend les cyclistes. Une succession de petites côtes, comme autant de toboggans cassent le rythme. Mais la difficulté s’efface, pour ne laisser place qu’au plaisir. Plaisir de se mouvoir dans une campagne belle et sauvage, où la route offre souvent de beaux panoramas donnant sur le bassin Brivadois.
Puis la dernière descente se présente enfin. Elle est vertigineuse : un beau plongeon, tête première dans la vallée ! Elle met à rude épreuve les freins des vélos, mais pas les jambes des cyclistes. C’est mieux ainsi. De Villeneuve à Lavoute-Chilhac la route est presque plate. Les derniers kilomètres de l’étape peuvent ainsi s’effectuer en douceur. Il n’est pas tard. Les cent soixante cinq kilomètres du parcours du premier jour ont été bouclés sans problème. L’accueil au VVF est sympa. Un verre est pris en terrasse, histoire de se requinquer et de se détendre un peu, juste avant de gagner les chambres pour se laver et se changer. L’heure est à la bière, aux commentaires, à la détente, doigts de pied en éventail !
Lavoute-Chilhac est une charmante petite bourgade, vivant paisiblement au bord de l’eau. La rivière, qui à cet endroit forme un méandre, coupe en deux le village. Un beau pont de pierre est là pour assurer la liaison entre les deux rives. En amont de celui-ci, des maisons séculaires, aux assises solides, sont bâties au ras de la rivière. Pour certaines, leurs murs baignent même dans l’eau. Des crues pourtant mémorables n’ont jamais pu venir à bout de ces ouvrages ancestraux. Hommage aux anciens bâtisseurs.
Mais maintenant que l’heure du repas est venue, il ne faut pas oublier de nous rendre chez Loulou. Loulou ! Un personnage cocasse et sympa. Un visage souriant, toujours au bord d’un éclat de rire. Une bonne bouille ronde, un ventre qui ne l’est pas moins, une allure bonhomme … Loulou n’est pas sportif. Enfin si, un peu ! C’est un motard. Son engin il en use … et en abuse. Il l’enfourche allègrement, et même avec allégresse pour se déplacer dans le village, et même parfois pour ne traverser que le pont ! Depuis trois ans que le tour de la Haute-Loire existe, nous honorons son restaurant de notre visite. Une cuisine familiale y est servie, et les plats sont copieux. Sa table répond à peu près à tous les critères que nous recherchons. Cette année nous n’avons pas dérogé à la règle, et sommes ressortis de chez Loulou, encore une fois, satisfaits et rassasiés, contraints même d’effectuer une petite balade pour activer la digestion. Nous traversons alors le pont, attirés par les sons d’une sono crachant quelques notes de musique. Un podium a été installé sous les platanes de la petite place du village. Aujourd’hui, c’est fête de la musique. Un groupe qui se veut exotique, s’essaye à des mélodies aux accents mexicains. Tout ça manque un peu d’authenticité … et il me semble même, qu’un des chanteurs chante un peu faux … Bref, en ce jour qui pourtant lui est consacré, la musique n’est pas toujours forcément à la fête ! Toutefois l’ambiance reste sympathique et bon enfant, même si nous préférons ne pas nous attarder devant l’estrade, et poursuivre plus loin notre balade vespérale.
Le retour aux chambres marque le début d’une nuit sans histoire. Cette année pas de rugbymans déchaînés … ni de troisième mi-temps tapageuse ! Dehors, le parc et ses environs sont tranquilles. Les chambrées presque sans bruit … Ce soir, les cyclistes peuvent se laisser bercer par le seul gargouillis de l’eau, par l’Allier qui coule juste en dessous … qui chantonne, comme dirait Francis Cabrel, en caressant les cailloux …
Le sommeil a été réparateur, et le lendemain, six heures quinze pétante, tout le monde est sur pied, prêt au départ. Les vélos sont enfourchés dans le petit matin. Les pédales automatiques claquent dans le silence, et le groupe s’élance. Les jambes se dénouent, et quelques cyclistes bavards troublent alors la quiétude du village, à l’heure où une grande partie de celui-ci dort encore. Seulement quelques coups de pédale avant la première halte, la première pause pour prendre notre petit déjeuner. Loulou nous attend ! Et nous réserve une petite surprise … Consciencieux, il a mis la table … mais il n’y a pas de pain pour tout le monde ! Que des rations de moineaux, suffisantes peut-être pour des petits oiseaux … mais pas pour des cyclistes, gros dépensiers en calories. Loulou, pendant la nuit, se serait-il converti à la cuisine moléculaire ? Non ! L’explication est plus terre à terre et beaucoup moins inquiétante : ce matin le boulanger a parait-il oublié de se lever ! Loulou en arrivant chez lui pour se ravitailler a trouvé porte close. Quand il revient bras chargés de flutes et de baguettes fraiches, malheureusement il est un peu tard … certains cyclistes ont déjà filé ... sont déjà sur la route. Le premier ravito du jour a été frugal, et quelque peu escamoté. Présagerait-il d’autres surprises ?
Le début de cette deuxième étape est tranquille. La route suit le cours d’eau. Les eaux de l’Allier sont limpides. On y imagine des saumons frétillant au milieu des courants. Par endroit, la rivière se fraye un passage étroit entre deux roches brunes de basalte. Mais il faut savourer ce calme précaire, et profiter pleinement des derniers instants de cette vie douce et facile, car une vacherie nous attend ! Dans quelques kilomètres un mur terrible va se dresser devant nous. Jean-Claude et Serge, les deux baroudeurs du groupe m’ont discrètement averti de la chose … Eux, ils connaissent la route. Pas moi ! Sur la carte étalée sur la table, quand j’ai tracé le parcours, le relief n’était pas franchement apparent ! Juste après Chanteuges, nous prenons à gauche. La route se fait déjà plus étroite, l’Allier coule dans des gorges plus profondes … prémices à un profil qui s’annonce plus sévère, plus accidenté. En effet, nous n’allons pas être déçus !
Nous voilà au pied de la difficulté du jour. Une de celle qui compte dans la vie d’un homme ! Plus modestement dans celle d’un cycliste. La route de Notre Dame de Lestour qui relie le petit village de Prade à la grande route de Saugues est une pure vacherie vélocipédique ! Un pèlerinage, ou un chemin de croix pour les plus pieux … « une connerie » sans nom pour les impies ! En chiffres, c’est d’abord huit cents mètres à dix huit pour cent de moyenne, puis ensuite, sur trois kilomètres, une succession de paliers oscillant chacun entre huit et quinze. Un petit pont, un virage à gauche … et ça y est nous y sommes. La route déroule sa bande de bitume gris au dessus de nos têtes … Plantée droite et verticale, elle se dresse devant nous comme un point d’exclamation qui brusquement, à l’occasion d’un virage, prend la forme interrogative. Allons-nous réussir à monter ? A franchir l’obstacle ? A ce moment, la question traverse légitimement l’esprit de chacun. Même Ness, l’adepte, le spécialiste des parcours de l’extrême, n’a jamais osé mettre au menu un tel plat de résistance. Moi, je l’ai fait ! Mais par pure ignorance et seule méconnaissance du terrain. A cet instant je regrette d’avoir embarqué les copains dans une telle galère. Ils vont me maudire, et à juste raison. J’accepterai leurs invectives, et recevrai sans broncher leurs volées de bois vert. Allez ! Maintenant on y est ! Alors tout à gauche ! Et plus question de tergiverser, ni de se poser de questions inutiles. Les dérailleurs cliquettent, les chaines craquent … et il faut passer ! Et là, à chacun sa méthode. Quelques uns zigzaguent pour tenter d’adoucir artificiellement les rudesses de la pente ; d’autres déchaussent dans l’urgence pour mettre pied à terre … certains même tombent ! Bref, chacun se démerde comme il peut … et tout le monde souffre. Mais au final tout le monde est passé. Chapeau ! Saluons ce bel exploit collectif. Au plus fort de la pente, les cyclistes ne formaient plus qu’une sorte de cordée d’alpinistes agrippés à une paroi rocheuse. Les mains accrochées au cintre du guidon comme au manche d’un piolet, ils progressaient alors lentement vers le sommet, concentrés sur leur machine. Mus par une force mystérieuse, ils s’élevaient, obsédés par la peur d’être happés par le vide.
Au sommet, une petite pause s’impose … le temps que le groupe se reconstitue et que chacun souffle un peu. Un bref coup d’œil sur l’horizon, nous permet de mesurer le chemin parcouru. Maintenant l’Allier coule tout en bas, minuscule au fond de ses gorges. Le dénivelé est impressionnant, une élévation de plus de quatre cents mètres effectuée en à peine quatre kilomètres de route. Un « tout droit » à travers des prés et des bosquets, sur des pentes abruptes …
Après ce sévère coup de trique, plus rien ne peut nous arriver. La route qui va nous mener jusqu’à Naussac, pourtant ponctuée de belles côtes, ne prendra plus l’allure que d’un simple tapis sans relief. Nonchalante, souvent elle aime musarder, se complaît le long de ruisseaux, puis tout à coup devient sautillante pour passer brusquement d’une vallée à l’autre. Ainsi elle nous emmène, alternant le chaud et le froid, à travers les plateaux de la Margeride et du Gévaudan. La région est magnifique et sauvage. Nous traversons peu de villages. D’ailleurs, ceux-ci sont souvent désertiques et se meurent. Parmi eux, citons Saint-Préjet, Chambon le Château, laval-Atger. Calmes et silencieux, ils se laissent traverser sans rien dire, caressés par le seul souffle des cyclistes qui passent, en route vers d’autres horizons … Sur le plateau, d’immense forêts alternent avec de vastes prairies … Celles-ci parfois aux allures de mirages, se confondent au loin avec quelques nuages … Ici, on se sent loin de tout et comme détaché des choses. Parfois on se prend même à rêver d’un monde meilleurs. Un monde dans lequel bizarrement, les hommes seraient absents … La bête, qui jadis sema la terreur à travers la contrée, a pu courir ici sans être inquiétée. Son territoire était immense.
Le « raidar » de Lestour, a tout de même fait quelques dégâts, quelques victimes … Dans une côte, peu après Saint-Prejet, Daniel est dans le dur ! Traits tirés, visage blême, il pédale mécaniquement, pâle comme l’aurore … Il « pioche », tangue et vacille méchamment sur la route. La fringale le guette. La jauge du réservoir d’essence se rapproche dangereusement de la zone rouge ! Je fouille dans mes poches, et en extirpe deux gâteaux « petit lu » que je lui tends. Il les regarde d’abord avec envie, juste avant de s’en saisir et de les engloutir goulûment. Un peu plus loin, il rêve de pâté en croûte, et en réclame même avec insistance ! Le voilà maintenant avec des susceptibilités et des envies de femme enceinte ! Daniel m’a toujours épaté. Je ne l’ai jamais vu abandonner. Même dans les pires moments, il ne lâche jamais rien … et finit toujours par passer. Chapeau l’artiste !
A la bascule d’une côte, le plan d’eau de Naussac nous apparaît, immense et un peu gris, reflétant dans son miroir, quelques nuages qui courent dans le ciel … Maintenant, la route est large et roulante. Langogne, juste derrière, se cache blottie dans un repli de terrain. Encore quelques coups de pédales, et nous traverserons une ville animée. C’est samedi, et maintenant il est presque midi. Encore sept kilomètres, et nous arriverons à Lesperon où est prévue la pause de la mi-journée. La halte aura lieu dans un restaurant que l’incontournable John, lui encore, nous a conseillé. Le ravitaillement arrive à point. Dans le groupe, beaucoup d’organismes montrent d’inquiétants signes de lassitude et demandent à être requinqués. Même l’inoxydable Jacques, commence à piocher, et me confie une pressente envie de bouffer. Nous sommes les premiers à pénétrer dans le bourg. Un village minuscule : une église, un restaurant, même pas de boulangerie ! Nous trouvons sans difficulté le chemin de l’auberge. Celle-ci trône au cœur du village, juste en face de l’église. Arrivé en éclaireur, c’est confiant et guilleret que je pousse la porte du troquet pour me présenter aux tenanciers de l’établissement.
– Nous sommes les cyclistes de Beauzac … qui avons réservé pour midi, vingt quatre couverts !
La patronne qui m’accueille sur son pas de porte, écarquille deux grands yeux : « quels cyclistes ? … et vous me dites comment ? Beauzac ? Moi, j’ai rien de réservé aujourd’hui à ce nom ! ». Je sens alors passer dans mon dos comme un frisson … Je pressens l’embrouille, subodore déjà le traquenard ! Et puis j’écarte ces vilains doutes. Le restau doit être ailleurs … dans un hameau proche du bourg … Immédiatement j’appelle Jean-Pierre pour lui donner quelques directives.
– On est paumé ! Appelle le restau, et demande leur l’itinéraire à prendre pour se rendre chez eux … on est dans le village … et apparemment c’est pas là !
Les cyclistes arrivent alors au compte goutte. La matinée a été rude, les organismes sont marqués. Les ventres sont vides, les dents aiguisées. La faim présente en chacun, rôde partout, insidieuse et rampante ! Tout le monde maintenant est impatient de s’installer à table … et de manger !
Le téléphone sonne. C’est Jean-Pierre.
– Bon ! T’es bien accroché ! Les gars sont en forme ?
– Bof !
– Parce que pour bouffer, il va falloir encore que vous vous tapiez quelques bornes ! Notre restau, il est bien à Lesperon … Mais dans les Landes !
Le coup de massue ! La tuile ! Putain de merde, y a eu erreur d’aiguillage ! Et avant d’analyser ce qui a bien pu se passer pour qu’on en soit arrivé là, il va falloir pallier à l’urgence, et trouver rapidement à bouffer. Il va falloir aussi que j’annonce la bonne nouvelle aux copains … et que j’leur explique la situation ! Je la résume en quelques mots. Et là j’ai peur ! Je croise tout à coup des regards chargés de haine … des yeux injectés de sang ! Je vois des gars, des copains d’ordinaire bienveillants et gentils, et qui là tenaillés par la faim, sont prêts à tuer, à devenir tout à coup de dangereux criminels. J’en vois d’autres, plus mesurés, mais prêts tout de même à me jeter un vélo à la figure … ou à me faire manger de l’herbe ! Pour bien me faire comprendre que la situation ne les amuse pas. Mais alors vraiment pas du tout ! La révolte gronde. Un qui se reconnaîtra, a même débuté une grève de la faim ! Avant que tout ne dégénère, et que ce paisible bourg proche de Langogne ne connaisse ses premières émeutes accompagnées de pillages, une cellule de crise est rapidement mise en place, et un plan de sauvetage s’organise. Dans un bel élan de générosité et de solidarité, le restaurateur de Lespéron … celui qui est en Lozère … a pu dresser dans l’urgence une table de dix couverts pour calmer l’appétit des plus impatients. Pendant ce temps, son épouse a pu contacter un collègue de Lanarce. Lui aussi va pouvoir nous dépanner, et accueillir le reste de la troupe. Seulement onze kilomètres séparent les deux bourgs. Ouf ! Nous sommes sauvés. Tous les ventres vont pouvoir enfin être remplis. Tout rentre dans l’ordre … Tout le monde est content … ou presque ! Parce que le patron du restaurant de Lesperon, celui des Landes, lui, l’est un peu moins ! A plus de cinq cents bornes d’ici, il nous attend ! Il a déjà mis la table … et fait chauffer des plats qui ont de grandes chances de refroidir ! Je l’ai au bout du fil. Confus, et plus que gêné aux entournures, je lui explique le quiproquo, l’incroyable méprise … me confond en excuses, et lui promet de le rappeler un peu plus tard, pour cette fois ci, lui parler de dédommagement …
Dix cyclistes s’élancent vers Lanarce. Jean et Stéphane suivent un peu derrière … Pascal erre plus loin encore … en solitaire ! Dans le groupe règne alors une sorte de chaos. Heureusement pour nous, cette portion de route est facile. Elle suit gentiment un vallon, ne progressant que sur un léger faux plat montant. De plus un bon petit vent favorable pousse les vélos, et vient caresser le dos des cyclistes d’une main amicale. Ainsi, ces quelques kilomètres sont rapidement avalés, et nous arrivons à Lanarce une petite demi-heure plus tard. Nous découvrons alors le restau. Il a l’air sympa, et a plutôt belle allure, marqué du sceau de la prestigieuse maison « Logis de France ». En pénétrant dans la salle, les treize cyclistes font un peu tâche ! On les regarde bizarrement ! Autour d’eux, que des gens bien mis, endimanchés, qui braquent sur eux des regards intrigués. Déjà confortablement installés, ces commensaux semblent être là en connaisseurs, en amateurs de bonnes tables. Nous découvrons la nôtre, dressée avec goût. Petits napperons blancs … verres à eau, verres à vin … couteaux et fourchettes en argent … La patronne sympa et accueillante, nous invite à nous asseoir, et nous amène les menus. Elle promet que nous serons rapidement servis. L’heure est à l’apaisement … et à l’analyse. C’est le moment aussi de dénouer les ficelles et de lever le voile sur l’affaire « Lesperon ». Une affaire qui déjà fait grand bruit, qui sans doute fera date dans le club, et dont on n’a pas fini d’entendre parler ! Alors que s’est-il passé exactement ? L’histoire commença à la fin de l’hiver, au moment des préparatifs, quand Jean et moi recherchions un restaurant à Langogne ou dans ses proches environs. John, toujours de bon conseil, nous avait alors indiqué cette table, qu’il fréquente souvent, et située donc à Lesperon, près de Langogne. Et même si à ce moment là, nous n’avions pas ses coordonnées précises, avec internet rien de plus simple pour les trouver : deux mots clé, « Lesperon », « restaurant », un coup de clic, et hop ! La magie opère, et un numéro de téléphone apparaît : 05 - -------. C’est à partir de là aussi, que le malentendu a commencé … et que débuta toute l’histoire. D’accord, l’indicatif n’était pas en 04, me direz-vous. Cela aurait donc du éveiller en nous quelques soupçons ? Peut-être, mais pour notre défense, précisons que Langogne n’est pas dans le département, et qu’en Lozère, nous changeons même de région. Alors un changement d’indicatif, pourquoi pas ? Bref, au printemps, quand j’ai le patron au bout du fil, le ciel est sans nuages. Un mec sympa en plus, qui propose de nous concocter un menu à la carte, composé essentiellement de produits du terroir. Un accord est rapidement conclu, et nous prenons date. Tout baigne, et vivement le 22 juin, nous devrions bien nous régaler ! Pourtant, deux jours avant le départ, un indice aurait du nous mettre en éveil, et nous alerter … Le patron a rappelé Jean.
– Vous êtes sûr, que votre truc est maintenu ? Parce que depuis plusieurs jours, il pleut beaucoup … Et y a de l’eau partout !
Et pour cause. Depuis quelques jours, les Pyrénées et les Landes connaissent en ce printemps pourri, des inondations d’un niveau historique. Jean, qui comme moi n’avait rien vu venir, était resté inflexible face aux doutes du restaurateur.
– Bien sur que notre rando est maintenue ! Pourquoi voudriez-vous qu’on l’annule ? Vous savez, les cyclistes n’abdiquent pas comme ça ! Et là, je vois bien l’autre, perplexe devant notre jusqu’au-boutisme, nous imaginant arrivant chez lui en pédalo !
Jeudi, à la veille du départ, Jean s’était confié à moi en ces termes : « Je crois que c’est bien que le gars du restaurant, hier, m’ait rappelé, et que nous ayons pu le rassurer … parce qu’il m’avait l’air inquiet ! » Finalement, il n’avait pas tort de l’être !
Maintenant, l’anecdote alimente la chronique, et fait sourire. Entre temps, Jean a rappelé « les Landes », et un accord a été trouvé. Le cuisinier, sympa, nous demande seulement cent euros de dédommagement. Nous pouvions nous attendre à beaucoup plus.
Quand nous sortons de table, le groupe de Lesperon est déjà sur la route, et roule en direction de Lanarce. Le regroupement général a lieu quelques minutes plus tard. Juste le temps de rassembler les troupes, de traverser la « nationale » qui mène du Puy à Aubenas, et nous voilà à nouveau tranquille, en route vers Saint-Cirgues. Un beau panorama de la montagne Ardéchoise s’étale devant nos yeux : un terrain escarpé, verdoyant, hérissé de reliefs. Le mont Mézenc nous apparaît déjà au loin. Il est clair maintenant que nous rentrons chez nous, direction plein nord pour un retour programmé au bercail.
A signaler à la sortie de Saint-Cirgues, un petit incident … un petit accident en forme de simple accrochage. Pascal Méasson, qui depuis un petit moment roule dans le coltard, parce qu’il n’a rien mangé … et oui, Le gréviste de la faim c’est lui ! N’a pas vu Fred Bazin qui tourne sans prévenir, sans prendre soin de mettre le clignotant à gauche pour se diriger vers un parking, et c’est la collision … puis la chute. Heureusement, chacun se relève sans bobos, puis repart. Pascal reprend la route un peu groggy … Il l’était de toute façon déjà, avant de tomber !
Juste avant Issarlès, le col de - ? (prière de m’indiquer le nom pour ceux qui s’en souviennent) se dresse devant nous. La pente est plutôt raide, près de huit pour cent de moyenne. Une route en lacets sur un terrain à découvert donne presque l’impression d’évoluer dans un col alpin de haute montagne. Simple illusion. Nous ne sommes qu’à mille et quelques mètres d’altitude ! Et après à peine deux kilomètres d’ascension le sommet se présente déjà. Pour un grand col, ça ne fait pas tout à fait le compte. Pour gouter à l’ivresse des sommets, il faudra aller voir un peu plus loin !
Max et Anthony, sont les deux jeunes loups du groupe, les plus fringuants de la troupe, pleins d’une vitalité belle à voir. Dans les bosses, ils caracolent en tête, se font gentiment la guerre en se posant de belles mines ! Mais ces sympathiques baroudeurs sont aussi de bons chiens de berger. Au sommet des côtes, ils oublient leurs querelles et font demi-tour. Dévoués, ils redescendent pour récupérer et ramener tranquillement au troupeau les brebis égarées … celles et ceux un peu à la traîne sur la route. A cette occasion, procédons à une brève revue d’effectif, et visitons un peu les troupes. Commençons d’abord par les dames.
Suzane pète le feu ! C’est un cas ! Il serait inconvenant de divulguer son âge. Je dirai seulement qu’elle a débuté le vélo à plus de cinquante ans, et qu’après près de vingt ans de pratique, elle grimpe encore comme une jeune gazelle, nantie d’une santé de feu ! C’est un gros moteur. C’est aussi notre amie !
Pierrette : une routière sans peur et sans reproche ! Plusieurs flèches à son actif en font un élément de référence dans ce domaine. C’est une endurante qui ne recule devant rien … même pas devant l’idée de se taper cent bornes à pied. Ce tour de la Haute-Loire ne fut pour elle, je pense, qu’une simple et belle petite promenade de santé ! Une seconde lune de miel aussi, accompagnée de son mari Jean-Claude, qui pendant trois jours, ne l’a pas lâchée d’un pouce !
Alors Jean-Claude parlons en. On pourrait écrire sur lui des milliers pages. Plus de 700 000 kilomètres au compteur, une expérience infinie, un puits sans fond de culture … Bref, on pourrait, on devrait l’écouter pendant des nuits entières …
Nadine, je suis sans doute le plus mal placé pour en parler, car c’est moi sûrement qui la connaît le mieux ! Du coup, je ne fais même plus attention à ses petits défauts. En résumé, ceux qui la connaissent un peu savent toutefois qu’elle est courageuse … parfois facétieuse … et pas toujours fidèle à un parcours tracé !
Marc. Sur ce tour de la Haute-Loire il s’est montré d’une santé sans faille. Et il a du mérite, car il fait plus de kilomètres que les autres. Son défaut ? Il roule en zigzaguant un peu !
Fred Duroux, pas de soucis pour lui, c’est un vieux routier ! Cependant, on le bichonne un peu. Il est banquier ! C’est aussi le trésorier du club !
Fred Bazin. Qui n’a pas rêvé de rouler derrière lui ? Pas le moindre courant d’air, on est à l’abri comme derrière un rocher !
Christian Chaize : dit « la jarjille » ! Toujours un peu taquin envers son prochain … Parfois, il râle un peu aussi. Mais comme c’est un bon copain avec qui on se paye toujours de bonnes tranches de rigolade, très souvent je fais preuve d’indulgence !
Alain. Je ne le connais pas trop. Mais lui, c’est un fidèle ! Un résistant de la première heure. Il était déjà présent au premier tour de la Haute-Loire.
Serge : un baroudeur ! Un guide sans faille ! Avec lui, même pas besoin de sortir une carte de sa poche. Toutes les routes du parcours, il les connaissait déjà parfaitement, sur le bout des doigts …
Jacques : le seul cycliste qui pédale avec les bras … Il s’en sert souvent pour venir en aide et pousser les copains en difficulté !
Stéphane : un fougueux, un courageux, qui en un an a bien progressé … et retenu la leçon … Cette année, il ne devrait pas arriver aux Estables, dans un état proche du coma !
Pascal Méasson : têtu comme un breton ! Pourtant son père était meunier à Confolent …
Daniel : son cas a déjà été largement évoqué, alors je conclurai : « allez Beauzac ! »
Guillaume, le gamin du groupe ! Mais attention, celui là, je l’ai formé, c’est mon poulain. Alors celui qui y touche aura affaire à moi !
Jean : notre père à tous ! La rigueur même ! Au club, nous lui devons presque tout.
Loly : cycliste sur le tard. Mais c’est un tout bon ! Un coriace formé à la dure école de la terre. Attention ! Il apprend vite.
Tony. Ah l’Italien ! Avec lui, même pas besoin de GPS pour le localiser … Avec son parfum, on peut savoir presque tout le temps où il est !
Et que dire de Jean-Claude (Sobosinski). A l’heure où sur internet, tout le monde peut parier un peu sur tout, qui aurait misé un sou sur sa tête ! Les dernières sorties de club, pour lui avaient été difficiles, et beaucoup, dont je fais partie, doutaient de sa capacité à boucler, à vélo, la totalité du parcours. Et pourtant il l’a fait ! Chapeau Jean-Claude ! En déjouant les pronostiques les plus pessimistes qui pesaient sur toi, tu nous l’a tous bouclée ! Dans ce tour de la Haute-Loire, je garde de toi l’image d’un courageux … qui a su dépasser sa souffrance … Je te revois suant, soufflant, souffrant souvent au-delà du raisonnable, mais continuant obstinément ta route, tendu vers l’objectif ambitieux que tu t’étais fixé. Le cyclisme consacre des champions, mais parfois aussi des héros anonymes.
Jean-Pierre, notre chauffeur. Impeccable ! Pourtant succéder au « Papé », n’était pas évident au départ. Et cette année bizarrement, malgré l’utilisation d’un véhicule plus gros et plus puissant, la consommation a baissé. A peine 0.5 litre de bière/100 kms !
Retour sur la route. Au fait, où en étions nous. Ah oui ! Le col de -----. Derrière, juste une petite descente, et le lac d’Issarlès nous apparaît … avec ses allures de station balnéaire … ces baigneuses en bikini qui se prélassent sur la plage, qui font trempette dans une eau sans doute un peu frisquette … Daniel, lui, sans prendre soin de quitter ses chaussures, va mettre les pieds dans l’eau ! Pour soulager quelques brûlures au niveau de sa voûte plantaire. Et puis se fut Le Béage, solidement accroché à treize cent et quelques mètres d’altitude, entouré de vastes prairies, d’immenses étendues où le vert domine, présent presque partout. Juste après le village, une ultime bosse nous attend. Un dernier petit passage délicat est encore à négocier avant la fin de l’étape. La route est mauvaise, cahoteuse à souhait, par endroit truffée de nids de poule. Un « tape cul » prompt à réveiller des douleurs sur quelques parties sensibles du corps … La route monte d’abord par paliers. Des coups de cul qui font mal, qui cassent le rythme et tendent les muscles. Puis la pente s’apaise un peu. La route à un moment même redescend, avant de remonter … puis de redescendre à nouveau. Ce profil cassant et rugueux comme un fragment de coquillage, met les organismes à rude épreuve. La route s’est encore rétrécie, et quelques virages serrés astreignent les cyclistes à la vigilance. Si près du but, il serait vraiment dommage de tomber ! Les cyclistes sont maintenant dans la forêt, un peu perdus … Et comme le Petit Poucet inquiet semant des miettes sur son chemin, ils égrènent sur la route quelques gouttes de sueur … Les dérailleurs et les hommes sont mis à rude épreuve, et coûte que coûte maintiennent tendus la chaine des vélos. Il est clair maintenant, que tout le monde a envie d’en finir. Heureusement, la récompense est pour bientôt. Encore deux ou trois kilomètres de piste cahoteuse, et les cyclistes rejoindront la grand route, celle qui relie le Gerbier aux Estables. Là, s’ouvrira à eux un grand boulevard, une voie royale et triomphale, où tout le monde pourra rouler détendu et tranquille, les mains posées sur les cocottes.
Le petit bourg des Estables nous apparaît enfin en dessous, posé dans son écrin de verdure, coincé entre ces montagnes. Après plus de deux mille huit cent mètres de dénivelé effectués dans la seule journée du samedi, tout le monde s’est arrêté et observe. L’effort en valait la peine. A près de mille cinq cent mètres d’altitude, la vue est magnifique, et le panorama grandiose. La montagne s’étale devant nous immense et dégagée, confondant au loin son vert avec le bleu du ciel. Il ne nous reste alors qu’à nous laisser glisser en roue libre jusqu’au village … Puis ce sera déjà le dernier soir, puis la dernière nuit que nous passerons ensemble avant de rentrer.
Le lendemain matin il fait frisquet. Sur le parking du VVF, personne n’a envie de s’attarder après la traditionnelle photo de groupe. Dès les premiers coups de pédale, Le col de La croix de Boutière se présente. Il arrive à point nommé pour réchauffer les organismes. La route monte d’entrée de jeu, raide et rectiligne. La mise en route est difficile pour beaucoup. Mais pas d’affolement ce matin ! Nous avons tout notre temps. Aujourd’hui, l’étape est courte, à peine soixante quinze kilomètres, et de plus, ça descend presque tout le temps ! Au sommet du col, et malgré le vent froid qui souffle sans faiblir, un petit arrêt s’impose. La vue, là encore est grandiose. Presque toute l’Ardèche s’étale sous nos pieds ! Les Alpes juste en face, qui d’habitude nous dominent, aujourd’hui se cachent sous de gros paquets de nuages … Après une rapide descente, la route de Fay, accrochée aux flancs abruptes du mont Mézenc, offre les derniers délices d’un voyage qui se termine.
Près de Saint-Jeures, un vent carrément de face nous souffle à la figure, bien décidé à contrarier notre progression, à retarder l’heure de notre retour à la maison … Pourtant maintenant il faut bien se résoudre à l’idée que nous rentrons chez nous. En fréquentant à nouveau des routes coutumières et bien connues de tous, la magie des jours précédents s’est quelque peu délitée, et même un peu évanouie quelque part derrière nous. Un brin de nostalgie s’est déjà glissé dans nos poches. Il faudra bientôt se quitter … et s’achèvera alors la belle aventure …
Elle se prolongera encore un peu chez Loly, dehors dans sa cour, autour d’une grande table. Celui qui nous accueille a bien organisé les choses, et il ne manque rien. Sa demeure, un beau et solide corps de ferme rénové avec goût, accueille aussi certains soirs des voyageurs en quête d’un toit. Faisant à la fois office de gîte et de chambre d’hôte, le lieu est recensé dans les pages de tous les bons guides touristiques. Le terrain qui entoure la maison est un vaste parc, digne de figurer dans le catalogue de nos plus beaux jardins à la française. Un de ceux qui de nos jours encore, font la fierté du pays ! Loly, agriculteur à la retraite est un jardinier appliqué et de talent. Son potager, toujours tiré à quatre épingles, produit de bons et beaux légumes … Mais tout autour, il y a aussi de splendides massifs de fleurs, des arbres d’essences différentes plantés ça et là, et harmonieusement agencés … Mais que dire de son pré. Pardon, de sa pelouse, de son gazon ! Un green ! Jamais une herbe plus haute que l’autre. Toujours tondue impeccable, soigneusement entretenue comme une barbe taillée au ciseau … Un rêve de golfeur !
Autour de la table, les discussions vont bon train, et tournent souvent, bien entendu, autour de ce tour de la Haute-Loire … dont nous n’avons pas encore fini de faire le tour ! Toutes les familles sont réunies, se sont retrouvées au terme du voyage, et c’est un beau dimanche à la campagne …
La nourriture est abondante, et le vin coule à flot. Un vin de joie et de fête qui enlumine les têtes, sublime les souvenirs … et fait naître aussi en chacun des rêves nouveaux …
Dans le petit matin, une route émerge de brumes diaphanes … et des cyclistes roulent caressés par les premiers rayons du soleil … Le vent chante à leurs oreilles, sifflote une mélodie entrainante … Il joue aussi parfois de la harpe, aimant se glisser entre les rayons de roue de leurs vélos … Les copains sont là aussi, fidèles bien sûr, toujours prêts à prodiguer un petit mot d’encouragement : « Allez, pédale et avance paillasse ! Au lieu de toujours rêvasser ! »
Denis Beauzac – juillet 2013