A travers Beaujolais et Bourgogne en 2016
Bien sûr, que depuis quelque temps une certaine effervescence était palpable dans le club. Vous pensez donc, organiser cette année une randonnée itinérante entre monts du Beaujolais et Bourgogne, emprunter donc un itinéraire calqué sur celui d’une des plus prestigieuse route des vins, il y avait là un projet qui chez beaucoup avait insufflé un vrai élan dynamique. Un engouement tout à fait logique, vu les perspectives que l’évènement laissait entrevoir. Oui mais voilà, avec cette satanée pluie qui au cours de ce printemps pourri n’arrête pas de tomber, l’ambiance depuis quelques jours était quelque peu retombée. Une pluie de plus persistante, tenace, qui détail non négligeable, n’excluait pas de s’inviter à la fête. Un risque à prendre sérieusement en compte, à en écouter les dernières prévisions des pontes de la météo nationale. D’où cette baisse tout à fait justifiée du moral. Une décrue amorcée, au moment où le niveau des cours d’eau lui par contre, était un peu partout en train de monter. Et puis déguster de grands crus avec de l’eau dans son verre, quel gâchis ! Voilà bien là de grands principes bafoués, et surtout des pratiques assez peu usitées, les épicuriens préférant honorer plus dignement les produits de la vigne !
Mais ce vendredi matin, une bonne surprise nous attend. A Sainte-Foy l’Argentière, au moment du départ, il ne pleut pas. Les vélos sont déchargés des voitures. Les cyclistes avant de s’élancer, scrute une dernière fois l’horizon et peuvent dresser un constat rassurant. Certes, le ciel au-dessus de leurs têtes, est bas et chargé, la campagne n’embaume pas la bonne odeur de foin sec qu’elle répand habituellement à cette période de l’année, mais il ne pleut pas. Là est bien le principal. Et les derniers et différents bulletins météo consultés sur internet, sont concordants. Tous annoncent des prévisions meilleurs que prévues. Sans grandes précipitations en tout cas, à priori. Ouf !
Il est environ 7h30, quand les premiers coups de pédale sont donnés. Une forme d’allégresse, du coup, a été retrouvée, et enjolive ce départ. Une synergie positive qui s’invite, une alchimie qui tout à coup vient barbouiller de couleurs le cerveau de chacun.
Dès la sortie du bourg, la côte de Saint-Laurent de Chamousset, première d’une longue série de bosses prévue au programme de la journée, est escaladée à allure de sénateur : une sorte de procession qui passe, et seize cyclistes qui grimpent en ordre dispersé … En quelques kilomètres, la troupe a déjà pris de la hauteur. Dommage seulement que l’horizon soit quelque peu bouché. Des brumes éparses troublent le paysage et s’accrochent çà et là à quelques flancs de coteaux. Saint-Laurent de Chamousset vient d’être traversé, et les cyclistes alors tournent à gauche. Jusqu’à Sarcey, c’est maintenant trente kilomètres de petites routes qui les attendent : une sorte d’itinéraire bis n’empruntant que des chemins oubliés. Un terrain escarpé et des routes cahoteuses qui secouent les hommes et malmènent parfois aussi le matériel. Un « tape cul » dont les premiers effets ne se font pas attendre. Daniel vient de crever. Un imperceptible sifflement provenant du pneu de sa roue arrière, couvert par sa puissante voix de baryton qui alerte, qui tout à coup appelle. Un peu plus loin, Michel est la seconde victime de ce terrain cabossé. Pour lui, c’est le pneu de la roue avant qui se dégonfle. Deux petits contretemps qui perturbent l’ordre de marche. Et du coup, Sarcey est atteint avec un peu de retard sur l’horaire prévu. A l’entrée du village, Pierrot nous attend, et tout est déjà en place pour un premier ravitaillement. Il y a Amar aussi. Au départ Amar n’était que simple stagiaire à la ferme des Chaleil, les parents de Nadine. Jeune adolescent, il passa ainsi plusieurs années au sein de la maison, adopté, traité avec les mêmes égards que les autres enfants du foyer. Il est depuis un membre à part entière de la famille. Lui est son épouse Michelle sont aujourd’hui citoyens de Sarcey. Amar est aussi un sportif récemment converti aux joies de la « petite reine ». Une passion naissante que les vieux routiers Beauzacois auront à cœur de partager un moment avec lui. Un bout de route qu’ils effectueront ensembles jusqu’à Régné Durette, exactement. Régné Durette, terme de l’étape du matin où les cyclistes ont prévu de se ressourcer. La table d’un restaurant a été réservée. Michelle doit nous y rejoindre.
Sarcey, où en attendant nous sommes encore, et où Pierrot n’a pas perdu son temps. Il a investi un petit parking à l’entrée du village, et y a dressé une première table où s’étale un casse-croute de tout premier choix. Tout y est ! Du sucré, du salé, un petit canon aussi bien-sûr ! Enfin tout pour ravir les papilles et recharger les batteries de chacun. Précieux et incomparable Pierrot, qui veille sur nous comme sur ses propres enfants …
Nous repartons à la fois gonflés d’énergie et emplis de bonheur. Maintenant nous roulons au milieu des vignes, le ruban de la route ondulant à flanc de coteaux. Nous nous mouvons à travers une campagne parsemée de villages. Des villages et leurs belles maisons de pierres ocre, avec tout autour la vigne omniprésente, la vigne et son immense tapi vert qui domine.
Juste avant Bois d’Oing, la route tout à coup se dresse. Un bon « coup de cul » attend même les cyclistes avant d’arriver dans le village. En fait, qu’un simple amuse-bouche, avant que des choses beaucoup plus sérieuses ne commencent ! Parce qu’après un court répit, et encore une dernière petite descente, nous attend maintenant le difficile col du Chatoux. Un virage à gauche, et brusquement la route se dresse, le terrain devient plus inhospitalier aussi. Pour preuve, la vigne a disparue ! Elle a cédé sa place à une épaisse forêt de feuillus. La route progresse maintenant à travers la montagne. Des passages raides, et une déclivité importante permettent finalement d’atteindre assez rapidement le sommet (704 m). Une manière simple aussi d’abréger ses souffrances ! La haut, la nature est sauvage, plus de maison, et plus qu’une montagne au profil parfois acéré. La route serpente un moment sur un faux plat. Un répit qui permet aux cyclistes de souffler un peu. Puis il y a une descente, et juste après Lamure sur Azergues, arrive la deuxième vraie difficulté du jour : le col de la croix Rosi. Là encore du sérieux au menu ! La route emprunte la face nord de la montagne. Du coup, une végétation plus austère, et même sur le sommet carrément une belle foret de conifères, un moment laissent à penser que nous sommes dans les Vosges ! Durant plusieurs kilomètres, une pente sévère éprouve les organismes. Mon cher Amar, pour t’avoir accompagné un moment au cours de cette ascension, je sais que tu en a bavé dur sur ton vélo. Ne t’inquiète pas. Ces phases douloureuses sont des passages obligés, une sorte de rite initiatique dont doit s’acquitter tout cycliste débutant. Ce sont des expériences qui forgent l’homme, et font plus tard du cycliste un sportif endurci. Une sorte de diplôme ou de laisser passer pour accéder ensuite à des plaisirs rares. Ils viendront, tu peux me croire. Dans quelques années, tu pourras vérifier que tout ce que je te dis là est vrai.
Le sommet du col domine la plaine. Une trouée à travers la foret, permet même un instant d’apercevoir la Saône. La Saône, qui tranquillement coule vers le sud, trace son sillon, parfois étincèle au loin. Simple reflet du ciel sur l’eau. Jusqu’à Quincé la descente est rapide : un tortueux toboggan qui en quelques minutes nous ramène presqu’au niveau de la mer. Une chute vertigineuse qui raye d’un trait, et ruine en un instant les durs efforts consentis pour se hisser jusqu’au sommet de la montagne. Maintenant la vigne est à nouveau présente, elle effectue même un brusque retour. Elle est partout de chaque côté de la route ; dans les vallons, sur les coteaux, et c’est plutôt rassurant ! Tous les puits cet été peuvent se tarir, nous savons désormais que nous ne mourrons pas de soif.
Régnié Durette est lui aussi un de ces beaux villages du Beaujolais. Dès son approche, il s’en dégage déjà une indicible douceur de vivre. Tout y est propre, et des maisons de pierres ocre, là encore, font bloc autour de leur clocher. Les patrons du restaurant où nous sommes attendus, nous accueillent alors avec beaucoup de chaleur. La table est déjà dressée. Le repas sera copieux et convivial à la fois. Pierrot, trône je crois en bout de table. Quand il est question de table, Pierrot tel un bon capitaine, est le seul maitre à bord. Cher Pierrot, tes ravitos, ta maitrise des arts du bien vivre et du bien manger, font de toi notre homme de base, un pilier solide dont les qualités ne seront jamais assez vantées. Alors moi aujourd’hui je le me lance, et au nom de tous les cyclistes réunis, je te dis encore : merci Pierrot !
Nous sortons de table rassasiés, et prêts à reprendre allègrement notre route. Devant nous, et toujours au volant du fourgon, Pierrot ouvre la route. Et quelle route ! Une route à vous donner le tournis. Une route avec de la vigne, à droite, à gauche, devant, derrière … bref de la vigne partout. De belles bourgades traversées aussi, longue tirade de noms évocateurs : St Amour, Morgon, Chiroubles, Chénas … Bref, que des noms de grands crus qui passent devant nos yeux et virevoltent ensuite dans nos têtes. A en perdre la tête ! Même qu’à un moment, il nous sembla voir disparaitre le fourgon. Pierrot, n’as-tu pas été tenté un instant de tout plaquer ; de t’arrêter là pour définitivement changer de vie ? De planter sur place, d’abord les cyclistes, et d’abandonner même ensuite ta famille, pour vivre ici ; vivre désormais tranquille au milieu des vignes. Une vie alors rompue aux seuls plaisir des sens, partagée entre douces bacchanales et indécentes orgies romaines ? ! Beaucoup ont eu un jour cette tentation, attirés par cette intrigante fascination du vide … Souvent simple désir de fuite sans lendemain, avant que le quotidien ne vienne reprendre son cours … et que la vie ainsi continue et passe … Le fourgon lui aussi est revenu …
L’entrée en terre bourguignonne s’effectue alors de manière brutale. Une entrée en matière même quelque peu musclée. De belles bosses s’érigent à nouveau sur le parcours. De bons coups de cul qui souvent font mal aux pattes. Durant un temps, La Roche de Solutré se détache du relief et s’érige sur notre droite ; sans qu’à aucun moment le chapeau de Mitterrand n’eut été aperçu ! Le paysage est tout simplement splendide. C’est sur ce même terrain, à la fois escarpé et sauvage, que les cyclistes rouleront jusqu’à Cluny, terme de la première étape. Près de cent soixante kilomètres ont été parcourus au cours de la journée. Plus de trois mille mètres de dénivelé s’affichent aussi sur les compteurs.
Cluny est une bourgade médiévale au passé chargé d’histoire. Cette ville accueille aujourd’hui de prestigieuses écoles, entre autre celle des « Arts et Métiers ». La nuit en son sein, fut douce et réparatrice pour les cyclistes ; les randonneurs hébergée dans un grand gite collectif aux allures de couvent. Un sommeil troublé peut-être, pour les plus insomniaques, que par le seul son assourdi de cloches lointaines, sonnant à chaque heure de la nuit …
Samedi matin, 7h30, tout le monde est debout prêt à repartir. Le groupe compte depuis ce matin un nouveau membre dans ses troupes : Benjamin Dellomini, le fils de Tony. Lui aussi débute dans le vélo. Son vélo, justement : un « Lapierre » ! Une monture, qui en son temps a fait la gloire de son père, et que ce dernier aujourd’hui lui a gentiment légué. Benjamin, fait preuve déjà de belles qualités vélocipédiques. Des perspectives prometteuses, qui devraient lui permettre, peut-être un jour, d’être l’héritier du « Bianchi » sur lequel roule actuellement son père. Une monture d’exception celle-là ! Cependant, l’affaire pour lui n’est pas gagnée d’avance. Car là, pour prétendre accéder à ce privilège, il devra faire preuve d’excellence, et peut-être même carrément montrer que c’est le sang bleu du Campionissimo qui coule dans ses veines !
Ce samedi, un ciel bas, et une campagne où ne s’accrochent un peu partout que des lambeaux de brume, confèrent à Cluny et à ses proches environs, un caractère fantasmagorique. Un rideau tiré sur le décor qui laisse libre cours au rêve et à l’imaginaire. Tiens ! Même que le Berry, cher à Georges Sand ne semble pas si loin. La Bourgogne et le Berry, deux régions qui je trouve ont en commun cette capacité d’incarner une France profonde ; une France rurale constituée de villages perdus, de forêts aux noms parfois énigmatiques. En général des recoins de campagne qui ont su garder une part de mystère, les brumes de ce matin aidant un peu à entretenir cette image.
Au sommet de la première côte, Suzanne bascule la première. Pas très à l’aise en descente, Suze veut prendre de l’avance, et anticiper le retour par l’arrière de quelques furieux qui lâchent facilement les freins ! Une erreur. L’itinéraire est compliqué, composé souvent de petites routes. Des routes qui s’entrecroisent, qui souvent s’entremêlent. Tout un réseau secondaire où les carrefours sont fréquents. Une multitude de routes où il est très facile de se perdre. Heureusement que quelques GPS sont là ! Et ce qui devait arriver, arriva … Suze « fait un tout droit ! Sans sortie de route, je précise, mais oublie à un carrefour de tourner à gauche. Quand on l’aperçoit, elle file déjà loin devant, hors de portée de voix. Alors maintenant il ne reste plus qu’à aller la rechercher. Heureusement Antoine est là. Et c’est lui qui se charge d’effectuer la mission. Antoine et sa jeunesse bouillonnante, pleine de fougue, débordante de forces vives. Sans hésiter, il se lance à sa poursuite, s’engageant alors à fond dans la descente. Et très rapidement, ce bon chien de berger nous ramène la brebis égarée au sein du troupeau.
Les premiers kilomètres de cette deuxième étape, sont encore compliqués. Le relief pourrait presque se calquer sur celui de la veille. Un profil rugueux, hérissé souvent de petites bosses pentues, tout de suite suivies de descentes, elles encore tortueuses, techniques et abruptes. Une succession de difficultés qui ralentissent la vitesse du groupe, perturbent sa progression. Du coup, la moyenne est faible. Un rythme lent, processionnaire, qui un moment inquiète Loly et Denis. A cette allure, il sera compliqué d’arriver avant quatorze heure, voire même quatorze heure trente à Gueugnon, où un restaurant a été réservé. Mais heureusement, ces prévisions au départ alarmantes et pessimistes s’avèrent erronées. Car au-delà du trentième kilomètre, un paramètre change : le relief tout à coup s’adoucit. Certes, il y a encore quelques côtes, quelques petites ondulation du terrain, mais le plus souvent maintenant, la route se déploie à travers la plaine. De longues portions de route où les cyclistes peuvent filer à vive allure, et qui permettent ainsi à la moyenne de rapidement remonter. Normalement, tout le monde devrait être devant son assiette, avant treize heures trente. Et le coup de « l’Espéron » ne devrait pas se reproduire ! La faim ne devrait pas une fois de plus décimer le groupe. Pas de nouvelle révolte du Bounty en vue !
La campagne est verdoyante dans ce coin paisible de la Saône et Loire. Des vaches, gestes nonchalants, paissent dans les prés, en nous regardant passer … Puis la route longe durant un moment un canal. Une sorte de voie sur berge où le bitume est lisse et chatoyant. Un terrain, qui durant quelques kilomètres, permet aux rouleurs de s’en donner à cœur joie. Un « coup de gaz » qui étire le groupe, et force ceux placés en bout de file, à serrer quelque peu les dents. Puis sur le coup de midi, il y eu à nouveau quelques bosses, parfois même quelques raidards courts et musclés, servis en apéro ou comme amuse-bouche avant le repas. Mais à treize heure quinze, comme prévu, nous sommes tous à table.
A Gueugnon, en plein pays de Bourgogne, le Charolais n’est pas loin. Et inutile de vérifier sur une carte, ça se remarque dans l’assiette. Les steaks qui nous sont servis appartiennent à la qualité supérieure. Et nous dégustons alors une viande qui honore l’éleveur de la bête : une texture ferme et tendre à la fois ; des saveurs exhalées qui ravissent les papilles. Bref, que du bonheur. Ici, la table a su rester un art. Un art sobre et simple certes, mais qui porte haut le prestige du pays.
Sur le coup de quatorze heures trente, nous repartons. Un vent soutenu souffle du nord. Et comme l’après-midi, nous allons changer de cap, et rouler désormais vers le sud, ce sera donc une main amie, celle du vent, qui viendra nous pousser dans le dos. Un vent, souvent décrié, détesté du cycliste, et qui aujourd’hui sera notre allié. Qui mérite donc aujourd’hui que lui soit rendu un petit hommage : merci donc à toi, Eole bienveillant.
Dans le Charolais, il y a de la Charolaise ! Et attention, dans cette affirmation, nulles allusions caustiques ou déplacées qui concerneraient les deux filles du groupe. Mais une simple constatation : dans le pays que nous traversons maintenant, les vaches sont de partout. De belles vaches blanches, solides, bien campées sur leurs pattes, et qui tranquillement paissent en troupeau. La campagne est vallonnée. Des villages éparpillés s’offrent de temps à autre à notre regard ; simples pattes de mouche posées sur un tableau où domine le vert. Toujours le vert, et la route chemine tranquillement à travers cette toile. Au cours de l’après-midi, Paray le Monial ou La Clayette, entre autre, ont été traversés. Autant de petites bourgades aux accents campagnards, simples mais belles, belles comme peuvent l’être des filles de la campagne, dépouillées d’artifice et de fard. En fin de parcours, le relief refait son apparition. La montagne Beaujolaise pointe à nouveau à l’horizon. Elle est là devant nous, posée et bien sage. Pourtant elle nous réserve une petite surprise pour demain. Et demain, c’est déjà le dernier jour …
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Saint-Igny, 7 heures trente dimanche matin. La montagne est encore noyée au milieu de brumes éparses. Les cyclistes s’apprêtent à s’élancer pour la dernière étape du périple. Fred, le régional de l’étape, nous a concocté le parcours. Le bonhomme connait parfaitement le terrain. Le crime était donc prémédité ! Une circonstance aggravante qui ne plaidera pas en sa faveur, quand placé devant ses juges, il aura à répondre de ses actes ! Maintenant, un simple petit rappel des faits.
Nous logeons depuis hier soir au pied de Mont Saint Rigaud, point culminant du massif : un sommet pointé à un peu plus de mille mètre d’altitude. Un passage obligé pour les cyclistes beauzacois, selon Fred, mais une grimpée d’enfer aussi ! Dès le départ une entrée en matière qui décoiffe. A peine sortis de Saint-Igny, et après seulement quelques kilomètres parcourus, nous quittons la grande route pour nous engager alors sur ce qui n’est plus qu’une sorte de voie forestière. Des rampes sévères, qui dès le départ, obligent les muscles encore froids à sortir de leur torpeur. Le festival vient de commencer ! Le terrain est boisé, et des bancs de brume s’accrochent à la pointe des grands conifères. A d’autres endroits, c’est carrément la route qui est noyée dans le brouillard. Un climat pesant, un décor qui dans un film fantastique préfigure souvent qu’une scène d’horreur n’est pas très loin. Un moment où le spectateur tenu en haleine, s’attend à voir des morts vivants qui sortent de leur tombe. Dans le scénario du jour, ce sont des sortes de fantômes qui investissent la montagne. Certains montent en soufflant, d’autres en ahanant. D’étranges boulets semblent rivés à leurs pieds, et ralentissent leur progression. Des pieds reliés entre eux par une chaine, qui dans le silence pesant de la montagne laisse parfois échapper d’étranges bruits de cliquetis … Ils grimpent mécaniquement, beaucoup luttent pour ne pas tomber. Cet étrange cortège converge vers le sommet. Tous finalement y parviennent, arrivant là-haut en ordre dispersé. Mais le calvaire pour eux n’est pas fini. Fred, l’ordonnanceur de ce drôle de pèlerinage, indique de l’index une direction à prendre : une route à gauche. Un cul de sac qui permet d’accéder à un relais planté sur le point culminant de la montagne. Avec pour ceux qui s’y engagent, la promesse d’aller toucher le ciel … Certains abdiquent là, préférant laisser ce privilège à d’autres. Plutôt clairvoyants sur ce coup les garçons ! Une bruine fine se dépose sur les arbres et ruisselle sur les visages. La route, elle, est luisante comme le cuir d’un mammifère marin. L’antenne n’est pas encore en vue, que le terrain change brusquement de profil. La route alors tout à coup se dresse comme une déferlante, comme la porte d’un pont levis en train de se fermer. Sans doute plus de vingt pourcent de pente, et maintenant des pneus qui peinent à maintenir leur adhérence sur le sol. Là, plus de choix possibles, ou plutôt si, c’est marche ou crève ! Et même plus la possibilité de déchausser, ça passe ou ça casse ! A cet instant, c’est sûr, pour chacun Fred est un maudit ! Et plus haut, les rescapés de cet enfer, tous à bout de souffle, ne peuvent plus parler. Mais ils n’en pensent pas moins ! Une révolte sourde gronde. Il y a eu des antécédents dans le club. Beaucoup par exemple se souviennent encore de Prade, et de son mur redoutable ; Une escalade effectuée au cours d’un tour de la Haute-Loire 2013, resté mémorable. Une autre histoire aussi me revient, plus récente par contre celle-là. C’était l’an dernier à Cervia en Italie, où réunis entre beauzacois nous passions une semaine sympa sur la côte Adriatique. Un jour au cours d’une sortie, tout à coup nous avions buté sur un panneau indiquant qu’une route était barrée pour cause de travaux. Un imprévu, une anicroche sur le parcours qui avait conduit notre accompagnateur Italien, Angelo, à modifier l’itinéraire initialement prévu le matin. Un plan B improvisé, qui nous avait alors conduits sur une route au profil acéré. Une bosse de près de deux kilomètres, certes sympathique, mais avec des pentes qui par endroit avoisinaient les 15%. Un raccourci sans doute, mais un obstacle aussi qu’il avait fallu escalader, souvent dans la douleur. Un « talus » que chacun avait grimpé en s’arrachant à sa façon, et en ordre dispersé. En fait, une dure épreuve, et au sommet une pause générale méritée, qui nous avait permis de souffler d’abord, puis ensuite de tous repartir ensemble. C’était Jean-Claude, notre ami Jean-Claude de Chamalières, qui au cours de l’ascension, fermait la marche. Et c’est un Jean-Claude tête boursoufflée, visage cramoisi, voir presque rubicond, que nous avions vu déboucher du dernier virage. Bref, un Jean-Claude proche de l’explosion. Un vrai courageux aussi, qui sous nos yeux, et sous le feu nourri de nos applaudissements, abordait la dernière et terrible rampe juste avant le sommet. Arrivé enfin au bout de son effort, de son calvaire, et à peine avait-il eu posé un premier pied à terre, qu’il pointait déjà un index accusateur en direction d’Angelo. Un Jean-Claude à première vue assez remonté, mais encore dans l’impossibilité de parler. Des mots qui ne vinrent qu’un peu plus tard. Des mots un peu hachés, car prononcés aussi par un homme encore essoufflé, et adressés bien sûr à Angelo, sa cible. « Oser nous faire passer par là ? Mais c’est une honte ! Angelo, tu es un assassin ! ». Une accusation, et déjà presque une sentence, qu’Angelo avait pris sans s’offusquer, d’un air tranquille. Un Angelo, Italien jusqu’au bout des ongles, calme et détaché, très classe, qui avait eu alors cette réponse superbe : « Jean-Claude, tu te trompes. C’est pas moi l’assassin … c’est la côte ! »
Fred, si demain tu confies ta défense à un avocat sachant se servir de cette jurisprudence, tu devrais pouvoir t’en tirer à moindre frais. Et peut-être même, être acquitté !
Après ce copieux hors d’œuvre matinal, la route jusqu’à Tarare, pourtant encore hérissée de belle petite bosses, ne fut pour les cyclistes qu’une aimable promenade de santé, qu’une simple formalité. Ce fut aussi une belle balade à travers une montagne, certes, sauvage, mais accueillante. Un déroulé royal, où les cyclistes purent gouter au charme de jolies petites bourgades comme Ranchal ou Saint-Vincent de Reims. Une route aux accents bucoliques, où de la brume, comme accrochée à nos basques, se tenait encore aux abords des talus ou le long des fossés. Le soleil boudeur nous délaissait une fois encore ce matin, préférant sans doute se prélasser au-dessus d’un épais et confortable matelas de nuage.
Tarare fut atteint à midi pile, et donc ce fut un rendez-vous ponctuel au « café de la gare », le restaurant qui nous accueille pour un dernier repas. Et un accueil princier. D’abord pour les vélos, placés le temps de la pause, sur une terrasse et à l’abri, les roues posées délicatement sur une moquette synthétique qui recouvre le sol. Bref, des destriers choyés comme des princes, et un traitement presque nobiliaire ! Puis ensuite vint le tour des hommes, où à l’intérieur, les attend une table élégamment dressée ; et où plus tard des mets savoureux leur seront servis. Servis dans de larges assiettes, garnies de fines victuailles, copieuses aussi. Tellement copieuses, que beaucoup n’en viennent pas à bout. Tient, ceux-là je vais les gronder ! J’ai des noms, mais je me tairais, par pudeur, par respect de l’âge aussi ! Moins d’une heure avant, ces même personnes je les ai vu se « goinfrer » de saucisson ou autres douceurs sorties miraculeusement du fourgon de Pierrot. Un peu comme des gosses qui se bourrent de bonbons juste avant de passer à table. Ah, les vilains garnements ! Toute une bonne éducation là encore à reprendre !
Une dernière belle petite bosse, juste à la sortie de Tarare, servit alors de « pousse café » aux cyclistes rassasiés. Des routes qui pour eux, maintenant redevenait familières. Rien de plus normal, doucement ils se rapprochaient de chez eux. Moins de trente kilomètres encore à parcourir, et la boucle serai bouclée. Et demain retour à la normal : réveil aux aurores, puis boulot, puis beaucoup moins de vin à table … copains disparus … bref, méchant coup de grisou en vue !
Denis Confolent, juin 2016